EXAMEN DE LAMES MINCES DE METEORITES
Quand le public observe les photos de lames minces (directement au microscope, c’est encore plus beau et plus net), il crie « WOWWW ». C’est vrai que la magie et le talent des peintres donnent les mêmes sensations.
Ici, le talent est celui d’un outil de la physique optique. La Nature est l’artiste.
On observe les lames fines de roches en lumière polarisée croisée à 90°. Il est nécessaire d’avoir une épaisseur permettant la transparence et fixée à environ 0,030 mm (ou 30 microns).
Quand on interpose entre l’œil et une source lumineuse deux filtres polarisants croisés à 90° (du genre des filtres pour appareils photo), plus aucun rayon de lumière ne passe. C’est l’extinction. Le 1er filtre a polarisé la lumière (pas facile à expliquer en peu de mots, mais ce principe est utilisé par les opticiens pour supprimer les lumières parasites réfléchies), et que l’on place sur le trajet des rayons sortants un 2e filtre polarisant, croisé à 90° par rapport au premier, plus aucun rayon lumineux ne passe. Et peu importe la distance qui sépare les deux filtres polarisants.
L’astuce du minéralogiste est de placer avec facétie une lame suffisamment fine d’un minéral et donc ainsi transparente entre les deux filtres polarisants, pour voir s’il se passe quelque chose.
Il existe deux possibilités :• Soit il ne se passe rien, la plage reste noire.
• Soit il apparaît une lueur colorée.
1) Le premier cas se rencontre si l’on place entre les deux filtres une lame de verre. Ce matériau n’a aucune incidence sur le phénomène optique analysé, parce que le verre est amorphe. En d’autres mots, il n’y a aucune direction privilégiée dans le verre qui affecterait une propriété du matériau. Le rayon le traverse comme si de rien n’était.
Si on interpose un cristal, comme le diamant, il ne se passe rien non plus. L’extinction reste totale comme dans le cas du verre. Le diamant possède une symétrie très élevée qui ne favorise aucune direction particulière pour une propriété.
Il en de même avec d’autres minéraux de grande symétrie cristalline, comme la fluorine, le spinelle, les grenats comme l’hessonite ou le grossulaire, etc.
Evidemment, le minéral ne doit pas être opaque car bien sûr alors plus rien ne passe évidemment (cas des écailles métalliques, de la troilite...).
2) Le deuxième cas est observé si le matériau interposé interagit avec le rayon lumineux sortant du premier polariseur. Puisqu’on a insisté sur le caractère amorphe (du point de vue moléculaire, comme le verre) ou l’aspect de grande symétrie, comme le diamant ou la fluorine, on voit de suite que la deuxième possibilité correspond à une perte de ces caractères :
• la substance n’est plus amorphe, mais cristalline ;
• la symétrie de ce matériau cristallin a chuté et les propriétés dépendent de la direction envisagée.
a) Rappelons un exemple vécu par tous. Vous savez depuis votre jeunesse, qu’un bâton plongé dans de l’eau semble se briser au contact de l’eau. C’est bien sûr une illusion d’optique qui est provoquée par une différence d’
indice de réfraction de la lumière entre l’air et l’eau. C’est facile à comprendre, l’air est quasi impalpable dans ces conditions et ressemble beaucoup au vide. L’air n’affecte pas le rayon lumineux. Mais par contre l’eau est un milieu plus dense et la vitesse des rayons lumineux dans cette eau liquide n’est plus la même que dans l’air. Evidemment, c’est aussi le cas pour le rayon traversant le grenat (très symétrique) ornant une bague, mais sa vitesse sera encore plus lente que dans l’eau. Mais comme le grenat de l’exemple est très symétrique, les propriétés optiques ne dépendent pas d’une direction, il ne se passe rien. La plage du microscope reste noire.
Le degré de lenteur est appelé
l'indice de réfraction. Il peut être formulé comme le rapport entre la vitesse de la lumière dans l'air et sa vitesse dans un minéral donné. Par exemple, la lumière se déplace à 299 330 kilomètres à la seconde (km/s) dans l'air (indice de réfraction 1), mais ralentit à 123 916 km/s dans le diamant (la lumière se déplace 2,41 fois plus vite dans l'air); donc, l'indice de réfraction du diamant est 2,41.
b) Il y a (au minimum) une autre notion à introduire, la
biréfringence du minéral peu symétrique. En effet, dans ce cas le minéral possède deux indices de réfraction. On dit qu’il est biréfringent.
Dans un tel milieu, la réfringence dépend de la direction envisagée par rapport à un système de coordonnées de référence (liée au cristal lui-même). Ces deux indices de réfringence ont des valeurs extrêmes. Le tout a été harmonieusement mis en musique depuis 1670 par les premiers cristallographes. (Il n’est donc pas interdit de comprendre ce phénomène aujourd’hui…). Puisque les indices varient en grandeur avec la direction, les scientifiques parlent de l’ellipsoïde des indices, langage qui peut paraître soit pédant soi élémentaire !
Revenons à nos moutons colorés sous le microscope. La lame mince se trouve insérée en sandwiche entre deux polariseurs (le premier près de la source est appelé polariseur, le second, l’analyseur).
Cette fine lame d’un minéral (par exemple une lame de quartz) perturbe le trajet de la lumière polarisée par le polariseur. Le rayon se trouve retardé, puisque le milieu traversé par le rayon est modifié. La lumière doit traverser en plus un matériau biréfringent dense d’une épaisseur de 30 microns (µm). Or le croisement à 90° du filtre analyseur supprimait toute composante lumineuse quand l’espace (distance quelconque entre les deux filtres) était de l’air. Si cette extinction est altérée, il apparaît à la sortie de l’analyseur une composante lumineuse dont la teinte dépend de nombreux facteurs.
Que se passe-t-il ? Même Mr de la Palice l’aurait dit, l’extinction est foutue. Il apparaît une couleur. On retrouve une composante initiale du rayon lumineux.
Je vais maintenant accélérer le tempo. S’il y a plusieurs minéraux, il y aura plusieurs couleurs puisque les indices de réfraction ne sont pas les mêmes et dépendent de la nature du minéral.
Mais pour un même minéral, la teinte dépend aussi de l’orientation du cristal, puisque la réfringence varie avec la direction dans un milieu peu symétrique. En tournant la platine du microscope, on voit apparaître un kaléidoscope de couleurs changeantes.
Mais ce n’est pas tout. Vous savez tous que la diffusion des cations ferreux (comme d’autres) dans le réseau cristallin à l’état solide est un fait avéré, il en résulte une variation de la réfringence pour un même grain cristallin parce que sa teneur en fer a varié (la composition intrinsèque du minéral a été modifiée par la diffusion des cations ferreux).
Mais comme tout serait simple si on en restait là… Les cristaux subissent de fameuses ondes de choc durant leur existence. Cela se répercute sur le réseau cristallin. Des tensions et déformations du réseau apparaissent et donc les indices de réfractions et les vitesses des rayons lumineux à l’échelle atomique sont légèrement et progressivement modifiées. On observe des variations ondulatoires (ou ondulantes si vous préférez) des teintes… En fait, il apparaît des arcs-en-ciel plus ou moins définis.
Et voilà comment et pourquoi le public est surpris par ces effets de la matière sur la vitesse de la lumière et sur les couleurs qui semblent naître de rien, d’un simple retard différencié de l’onde lumineuse, entre deux filtres polarisants.
Mais comme toutes ces variations qui sont fonction de tellement de facteurs naturels se font de manière aléatoire, brutale ou progressive, le spectacle est joli et souvent harmonieux.
J’aurais pu dire que l’épaisseur de la lame intervient aussi, mais vous l’aviez déjà implicitement compris puisque le trajet du rayon dans un matériau dense s’allonge ou diminue avec l’épaisseur. C’est pour cela que l’épaisseur est fixée à 30 microns, car pour cette valeur le quartz apparaît en gris-blanc.
Magique, n’est-il pas ?
Qu’elles sont belles nos météorites quand on peut mieux les comprendre et les admirer !
Le point suivant est de déduire de ce phénomène un premier moyen analytique de la roche. Sous le microscope, la différence entre un basalte issu d’un astéroïde et une chondrite carbonée n’ayant pas subi de grand métamorphisme thermique saute aux yeux.
Fine Lame.