Comme il n'y à pas foule, voici une explication générale :
La chondrite carbonée CI Orgueil, dont la composition est la plus proche de celle de la photosphère solaire, est utilisée comme référence des compositions solaires. Les variations de composition des autres roches du Système Solaire sont définies comme des fractionnements chimiques par rapport à la composition d’Orgueil. Du point de vue isotopique, il existe peu de variation entre les objets du Système Solaire pour les éléments chimiques autres que l’oxygène, l’hydrogène, l’azote et le carbone. En géochimie et cosmochimie, les compositions isotopiques sont généralement exprimées en notation delta, exprimant l’écart du rapport isotopique à un rapport de référence en pour mille :
où Rech est le rapport isotopique de l’échantillon et Rstd est le rapport isotopique du standard de référence utilisé. Les valeurs de référence utilisées sont généralement la valeur moyenne de l’eau des océans terrestres (SMOW pour standard mean ocean water) pour l’hydrogène et l’oxygène, l’air atmosphérique pour l’azote, un fossile marin du Crétacée, Belemnitella americana, de la formation de Pee Dee en Caroline du Sud (PDB) pour le carbone.
L’oxygène est un élément abondant du Système Solaire : c’est un composant majeur de nombreux minéraux (silicates, oxydes) ainsi que des gaz (CO et H2O principalement). Il possède trois isotopes stables ([size=10]16O, 17O et 18O) en proportions différentes (99.76, 0.04 et 0.20% respectivement pour le SMOW) qui peuvent être mesurés avec précision. La différence de masse entre les isotopes 18O et 16O étant deux fois celle entre 17O et 16O, le fractionnement isotopique induit entre ces trois isotopes par les processus physicochimiques classiques (e.g. évaporation, condensation etc.) affectent deux fois plus 18O que 17O. De ce fait, la totalité du matériel terrestre se trouve sur une droite de fractionnement de masse de pente ~ ½ dans le diagramme δ17O en fonction de δ18O.[/size]
Si lors de la formation du Soleil et de la nébuleuse protosolaire, la matière de départ a été homogénéisée isotopiquement et que les processus chimiques au sein du Système Solaire sont dépendants de la masse, les compositions isotopiques de l’oxygène des matériaux du Système Solaire suivent la loi de fractionnement de masse suivante :
Si les fractionnements isotopiques sont relativement faibles (< 20 ‰, Thiemens 1999), on peut approximer cette loi à une droite de pente ~0.516 dans le diagramme δ17O vs. δ18O (δ17O = 0.52 δ18O).
Les roches lunaires ainsi que de nombreuses météorites rocheuses différenciées s’alignent bien sur la droite de pente ~1/2 appelée aussi droite de fractionnement terrestre (TFL pour Terrestrial Fractionation Line). Les autres objets du Système Solaire ne se répartissent pas sur cette droite. Les écarts à la TFL sont exprimés par la notationΔ 17O = δ17O - 0.52 δ18O. La présence de tels écarts ne peut être expliquée que par (1) la nonhomogénéité initiale de la nébuleuse ou (2) la présence de processus de fractionnement isotopique indépendant de la masse tel que des processus de nucléosynthèse stellaire (Clayton 1993 et références associées), le self shielding2 ou des processus de fractionnement liés aux différences de symétrie des molécules portant les différents isotopes (e.g. Robert 2004 ; Thiemens 2006).
Les compositions isotopiques en oxygène des principaux groupes de météorites ainsi que les compositions des principaux réservoirs d’hydrogène terrestres sont présentées en Fig. 1.
Fig. 1. Compositions isotopiques de l’oxygène dans les météorites et dans les principaux réservoirs terrestres. Figure modifiée d’après Thiemens (2006).Les compositions isotopiques de l’oxygène des différents groupes et types de météorites définissent des régions bien spécifiques dans le diagramme δ[size=10]17O vs. δ18O. Au sein de chaque région, les compositions s’alignent globalement sur des droites :[/size]
- les chondrites à enstatites, les aubrites, les HED, les SNC et les chondrites carbonées de type CI s’alignent sur la TFL ; du fait des ressemblances isotopiques entre chondrites à enstatite et roches terrestres, ces météorites sont souvent identifiées au matériau précurseur de la Terre (e.g. Javoy et al. 2010),
- les chondrites carbonées possèdent de larges gammes de variations isotopiques, sont en 16O par rapport aux roches terrestres et s’alignent globalement sur une droite de pente ~1 (sauf pour les CR qui s’alignent sur une droite de pente 0.59, Clayton et Mayeda 1999), - les chondrites ordinaires ont de faibles gammes de variation, sont légèrement enrichies en 17O par rapport aux roches terrestres et s’alignent sur une droite de pente ~1 (1.074, d’après Clayton et al. 1991).
La spécificité des compositions isotopiques en oxygène de chaque groupe ou type chondritique est un outil important pour la classification des météorites.
Les différences de compositions isotopiques entre les groupes, au sein des groupes et au sein des météorites dépendent de la nature et de l’intensité des processus chimiques ayant eu lieu sur les corps parents des météorites ainsi que de la nature et des proportions des phases accrétées (Zanda et al. 2006). Notons que le soleil est riche en oxygène 16 par rapport à l’ensemble des objets du Système Solaire (Hashizume et Chaussidon 2005 ; McKeegan et al. 2011) et sa composition se trouve dans le prolongement de la droite de pente 1 définie par les phases de hautes températures (chondres et CAI anhydres) des chondrites carbonées.
Les différences de compositions isotopiques en oxygène des différents groupes et classes de chondrites semblent être le résultat d’hétérogénéités spatiales et/ou temporelles de la nébuleuse protosolaire dans laquelle les différents corps parents se sont formés, mais aucun consensus n’existe sur l’origine même de ces hétérogénéités (e.g. Clayton 2002, Thiemens 2006).
Les compositions isotopiques moyennes de l’hydrogène des chondrites se répartissent de part et d’autre de la valeur moyenne du D/H de l’eau de Mer (SMOW), cf. Fig. 2. Tous les solides du Système Solaire portent un enrichissement systématique en deutérium par rapport à la valeur solaire. Certaines chondrites, en particuliers des chondrites ordinaires peu équilibrées, possèdent de forts enrichissements en deutérium par rapport au SMOW.
Fig. 2. Histogramme de fréquence des mesures de D/H moyen des chondrites : 77 chondrites mesurées, compilation de F. Robert. Les valeurs de la photosphère solaire (soleil), de l’eau terrestre (SMOW) et de l’eau des comètes du nuage d’Oort sont reportées à titre indicatif.
La majorité des chondrites possède un rapport D/H proche de celui de l’eau terrestre tandis que les comètes du nuage d’Oort sont plus riches en D (cf. Fig. 1. 4). Ces chondrites pourraient être à l’origine de l’apport de l’eau sur Terre. Néanmoins, la mesure récente du rapport D/H = 161 ± 24 (Hartogh et al. 2011) dans l’eau d’une comète originaire de la ceinture de Kuiper (30-50 UA3) semble indiquer une origine commune pour certaines comètes et chondrites (Gounelle 2011).
Fig. 3. D/H du Système Solaire dans l’eau des comètes du nuage d’Oort (carrés oranges) et de la ceinture de Kuiper (violet), des chondrites carbonées CI (vert), des panaches du satellite de Saturne Encelade (bleu) ainsi que dans le H2 des atmosphères des planètes géantes Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune (J, S, U, N). Barres d’erreur 1σ. Figure tirée de Hartogh et al. 2011.
L’hydrogène, le carbone et l’azote se trouvent majoritairement concentrés dans les phases de basses températures se trouvant principalement de la matrice fine : matière organique (H, C, N) et minéraux hydroxylés ou hydratés (H). Ces phases sont porteuses de fortes anomalies isotopiques et font l’objet de nombreux débats concernant leur origine et l’origine de leurs anomalies isotopiques, leur évolution et leur préservation au cours de l’histoire du Système Solaire et sur les corps parents, les possibles échanges isotopiques avec les phases environnantes.
Références :
[size=13]Clayton, R. N. 1993. Oxygen Isotopes In Meteorites. Annual Review of Earth and Planetary Sciences, 21, 115–149.[/size]
[size=13]Clayton, R. N. 2002. Solar System: Self-shielding in the solar nebula. Nature, 415(6874), 860–861.[/size]Clayton, R. N., & Mayeda, T. K. 1999. Oxygen isotope studies of carbonaceous chondrites. Geochim. Cosmochim. Acta 63(13-14), 2089–2104.Clayton, R. N., Mayeda, T. K., Goswami, J.N, & Olsen, E. J. 1991. Oxygen isotope studies of ordinary chondrites. Geochim. Cosmochim. Acta, 55(, 2317–2337. Gounelle, M. 2011. The asteroid-comet continuum; in search of lost primitivity. Elements, 7(1), 29–34.
Hartogh, P., Lis, D. C., Bockelee-Morvan, D., de Val-Borro, M., Biver, N., Kuppers, M., Emprechtinger, M., Bergin, E.A., Crovisier, J., Rengel, M., Moreno, R., Szutowicz, S., & Blake, G.A. 2011. Ocean-like water in the Jupiter-family comet 103P/Hartley 2. Nature, 478(7368), 218–220.
Hashizume, K., & Chaussidon, M. 2005. A non-terrestrial 16O-rich isotopic composition for the protosolar nebula. Nature, 434(7033), 619–622.
Javoy, M., Kaminski, E., Guyot, F., Andrault, D., Sanloup, C., Moreira, M., Labrosse, S., Jambon, A., Agrinier, P., Davaille, A., & Jaupart, C. 2010. The chemical composition of the Earth: Enstatite chondrite models. Earth Planet. Sci. Lett., 293, 259–268.
McKeegan, K. D., Kallio, A. P. A., Heber, V. S., Jarzebinski, G., Mao, P. H., Coath, C. D., Kunihiro, T., Wiens, R. C., Nordholt, J. E., Moses, R. W., Reisenfeld, D. B., Jurewicz, A. J. G., & Burnett, D. S. 2011. The Oxygen Isotopic Composition of the Sun Inferred from Captured Solar Wind. Science, 332(6037), 1528–1532.
Robert, F. 2004. The common property of isotopic anomalies in meteorites. Astronomy & Astrophysics, 415 (3), 1167.
Thiemens, M. H. 1999. Mass-Independent Isotope Effects in Planetary Atmospheres and the Early Solar System. Science, 283(5400), 341–345.
Thiemens, M. H. 2006. History and applications of mass-independent isotope effects.Zanda, B., Hewins, R.H., Bourot-Denise, M., Bland, P. A., & Albarède, F. 2006. Formation of solar nebula reservoirs by mixing chondritic components. Earth and Planetary Science Letters, 248, 650–660.